Quand le confinement est arrivé, j’ai pris mon carton avec mes dossiers sans chercher à savoir si c’était légal. Déjà en télétravail une journée par semaine, je savais que je pouvais continuer de chez moi. J’ai annulé mes rdv mais maintenu le lien, en restant disponible par téléphone. Après 3 semaines, je me suis sentie aussi démunie que les personnes que j’accompagnais. Je ne savais pas trop ce qui se passait, ce qu’on pouvait proposer ou non… C’était difficile de ne plus travailler en équipe. On gère des situations qui ne sont pas faciles, des personnes seules, très fragiles. Et j’étais seule aussi chez moi, fragilisée par rapport à ce qui se passait.
Mais ne pas proposer de l’aide, c’est abandonner. Et je ne peux pas être juste exécutante.
Même si ce n’était que par téléphone, qu’il n’y avait plus de lien physique, nous restions proches malgré tout, disponibles pour les personnes qu’on accompagne. Elles étaient contentes qu’on prenne de leurs nouvelles. Et réciproquement.
C’était une vraie reconnaissance de notre disponibilité pour eux malgré le contexte. Je pense que ça les a sécurisées. D’autant qu’on pouvait très bien parler d’autre chose que du corona ou de leurs difficultés. Simplement être là pour prendre de leurs nouvelles.
Par exemple avec un monsieur qui sortait d’une cure de sevrage et dont je voulais prendre des nouvelles, je me suis spontanément installée dans mon salon, peut-être pour être dans une autre écoute… Et nous avons discuté comme j’ai rarement l’occasion de le faire : « alors qu’est-ce que vous faîtes aujourd’hui ? ». Et il s’est mis à me parler de sa passion, l’histoire. Jamais il ne m’en avait parlé…
Bien sûr ce qu’il vivait à ce moment-là n’était pas facile, mais ce lien un peu plus intime que d’habitude était un vrai soutien pour lui.
Un autre monsieur pour qui j’étais très inquiète a lui aussi vraiment pris appui sur cette simple « présence » pour lui. Il était sans logement depuis plusieurs mois, essayait comme il pouvait de poursuivre sa formation en français. Je l’appelais plusieurs fois par semaine pour garder le lien et le mettre en contact avec des structures qui pourraient peut-être l’aider. Je l’ai vu développer de sacrées ressources, jamais il ne s’est plaint de sa situation. A la fin du confinement, il a trouvé un logement par lui-même : « je vous remercie d’avoir été là. A chaque fois que vous m’appeliez, j’étais content quand votre numéro s’affichait ». Etre là pour eux, c’est aussi leur donner la force de faire par eux-mêmes.
Avec une famille en difficulté par rapport à l’écrit et au français, il fallait remplir un formulaire pour une aide de la CAF. En rdv, ça aurait pris 5mn, je l’aurais rempli pour qu’ils le signent. Là il nous a fallu faire autrement, faire preuve d’ingéniosité. J’ai eu l’impression de faire une bataille navale pour les téléguider sur les cases à cocher ! On en a ri ! Et on a réussi, fiers ! Le document d’après, ils ont réussi à l’envoyer tout seul…
Avec une autre femme, un peu triste, isolée, sans nouvelles de ses enfants placés depuis longtemps, nos discussions anodines ont là encore permis une vraie ouverture. Elle me disait coudre des masques chez elle. Je lui ai parlé du centre social qui recherchait justement des bénévoles pour le faire. Une heure après notre coup de fil, elle y était. Et elle y est allée chaque matin ! Jusqu’à me dire qu’elle avait entendu parler d’un recrutement de couturières sur Lesquin et qu’elle aimerait y travailler… Alors qu’avant, ça coinçait rien que sur les démarches administratives. Même si on est un peu loin de l’emploi, je comprends autrement qu’elle a vraiment envie de travailler. Pour montrer aussi à ses enfants que c’est possible.
Avec le recul, je dirais que toutes ces personnes m’ont aussi aidée à avoir de l’énergie. Il y a quand même des choses qui se sont passées alors que toutes les actions habituelles s’arrêtaient les unes après les autres. En fait, on était dans la même galère, vécue de différentes manières bien sûr mais on ne maitrisait plus rien, on était tous sur un pied d’égalité. Et j’osais leur dire que je ne pouvais malheureusement pas faire grand-chose pour eux vu le contexte. Sauf être là, et maintenir leurs droits.
Comme une architecte du lien humain, j’ai réussi à rester en lien avec les personnes avec qui j’avais construit quelque chose. Et ça m’a permis d’exercer mon métier comme je voulais !