Le confinement nous a obligés à nous réinventer, à être autrement en lien avec les jeunes.
Comment créer, garder un lien humain, sans se voir ?
J’ai dû m’adapter, passer essentiellement par les réseaux sociaux, Snapchat surtout.
On a vite parlé de ce qu’ils avaient compris ou non du confinement. Même s’ils avaient conscience de l’ampleur du phénomène, sociétal, mondial, accepter les gestes barrières restait compliqué pour certains : « mais c’est quoi ce virus ? c’est quand même pas ce truc qui va nous tuer ! ». J’ai vu que les filles sont beaucoup moins sorties ; juste pour des courses de première nécessité, avec leurs parents. Les garçons ont eu du mal à rester à la maison après le premier mois…
Après le confinement, on abordait la scolarité, et derrière, leur enfermement psychologique, leur isolement, leur souffrance : « Quand je te parle, je décompresse. J’en peux plus de ma famille ! »
Finalement, ils n’avaient plus l’échappatoire de l’école ! « C’est pas si nul que ça en fait l’école. Sinon mes journées sont vides ». Même s’ils ne font pas leurs devoirs, qu’ils sont régulièrement absents, en retard, l’école leur permet d’être en lien, avec d’autres jeunes mais aussi avec des adultes. Ça rythme leur vie, ça leur apprend des choses.
Pendant le confinement, comme ils vivaient la nuit, ils pouvaient envoyer des messages jusque tard dans la nuit. C’est le soir qu’ils parlent le plus, quand les angoisses apparaissent, qu’ils ont besoin de les exprimer.
Via Snapchat, on a pu accrocher de nouveaux jeunes, les invisibles, ceux qui ne sont pas sur le territoire mais chez eux, dans leur chambre, très seuls. Des snap projets on est passés aux snap individuel, pour créer une relation, même à distance, une accroche. Et ça a marché.
J’ai même accompagné un placement sans avoir jamais vu la jeune. Je l’ai beaucoup appelée, pour prendre des nouvelles, pour qu’elle puisse dire ce qu’elle vivait, qu’elle ne pète pas un plomb. On a réussi à développer une vraie relation de confiance. La vraie rencontre devrait bientôt avoir lieu. On verra comment ça se passe…
Ce confinement a finalement renforcé notre écoute, notre présence, notre engagement. Même sans lien physique, les jeunes sentaient qu’on s’intéressait à eux, d’une autre manière. Ils s’étonnaient même qu’on appelle juste pour prendre des nouvelles, pour garder le lien !
Ils nous ont aussi redonné de la légitimité. Ils nous ont vus être là pour autre chose que le collège, les papiers, être là aussi pour le quartier, le lien humain simplement. Etre le relais quand ils étaient sans nouvelles de leurs copains.
Eux aussi se sont révélés… dans leur besoin d’être utiles. Ils toquaient régulièrement à la porte des voisins pour leur proposer de l’aide, porter leurs courses.