Entretien avec Stéphane, éducateur de prévention
« Je me suis adapté au confinement, je me réadapte au déconfinement ; ça sera pareil pour ce qui va venir… »
« La relation avec les jeunes ne s’est pas arrêtée pendant le confinement, elle s’est modifiée. J’ai fait un SNAP pro dès le début, il a pris direct. Plus de 65 jeunes s’y sont mis. On a modifié nos horaires de travail pour être en phase avec les besoins des jeunes, surtout le soir voire la nuit, moment où ils s’ennuient, où la solitude est plus pesante, angoissante. Les réseaux sociaux, c’était vraiment le lien avec l’extérieur pour les filles qui sortaient très peu. Je dirais qu’on a eu 70 % de filles. Les gars après 3 ou 4 semaines, ils ont recommencé à sortir. On a aussi été en lien avec les familles : demander comment ça allait, rassurer… On a accompagné des parents démoralisés pour leurs enfants, d’autres démobilisés, en particulier autour de l’orientation. En travaillant autrement, notamment avec la psy EN on a pu sauter des étapes et gagner un temps précieux pour ces jeunes, rassurer les familles…
L’adaptation est au cœur de la prév. On s’est adapté. On a été inventif. Je pense à une jeune fille pour laquelle j’avais été interpelé par la CRIP. Elle était mal, avait un gros besoin d’exprimer au lieu de tourner en boucle dans ses pensées. Je lui ai proposé de m’envoyer des mails aussi souvent que nécessaire pour elle. J’ai eu jusqu’à 10 mails par jour. Le contrat, c’était : je les lis mais je ne te réponds pas. C’était comme le mur d’un blog pour elle, un journal intime. Maintenant, je vais passer le relais au psy qui la suivait avant et qui va reprendre son accompagnement.
ça a été aussi ça le confinement, inventer, trouver d’autres partenaires, d’autres manières de faire, amener les personnes à trouver des ressources, rester présents, écouter, rassurer. Il y a des familles que ça a rapproché et d’autres qui ont éclaté. Il y a des personnes que ça amené à bouger, je pense à une femme maltraitée par son compagnon, alors qu’elle vivait cette situation depuis longtemps, elle a trouvé la force de le mettre dehors pendant le confinement.
Pendant le confinement, je me suis porté volontaire aussi pour travailler en foyer, j’y ai déjà travaillé il y a quelques années, et j’avais besoin de me rendre utile. C’était à un moment où j’avais besoin de souffler pour rapport à travailler chez soi et à un moment où il était difficile de trouver des solutions efficaces pour des situations bloquées. Le contexte était difficile dans les foyers, les éducs n’y sont pas habitués à avoir les jeunes H24, d’habitude ils sont scolarisés. Là pas d’école, pas de sortie. Il a fallu fonctionner autrement, proposer des choses nouvelles, c’est plus facile quand on est nouveau. On a fait pas mal de sport notamment…
J’ai été agréablement surpris par l’attitude positive des jeunes, leur solidarité alors que c’était loin d’être facile à vivre pour eux.
Depuis le 11 mai, on a repris le travail de rue. Le 1er jour on n’a vu personne, le lendemain on a décalé nos horaires, on y est allé le soir, et là on a commencé à voir du monde.
Je me suis adapté au confinement, je me réadapte au déconfinement ; ça sera pareil pour ce qui va venir. Tout ça m’a enrichi. ça a aussi donné un coup d’accélérateur à un projet autour de l’insertion que j’ai depuis un moment. Avec ce que beaucoup de jeunes ont vécu pendant le confinement, c’est encore plus d’actualité ! Je n’en dis pas plus pour l’instant, mais J’en ai parlé en équipe et j’ai été heureux de l’écho que ça a reçu. La suite au prochain épisode !».