Avec le recul d’un peu plus de deux mois de confinement, on voit bien que tout est allé très vite.
Et en tout premier lieu la perte de contact. Pourtant essentielle dans le travail social…
Emeline F. : « mais qu’est-ce que je fais là, chez moi, derrière mon écran ? Même si j’étais en télétravail, je ne voyais plus personne. Ça a été un changement de vie, soudain, qui nous a obligés à nous adapter très vite. Je ne m’attendais pas à partir si longtemps. Heureusement qu’on est à la base très autonome ! On a pu continuer, seul chez soi, en appelant les collègues pour échanger nos ressources ».
Delphine : « le télétravail ne me convient pas du tout. Sans cadre, sans collègues autour, je perds toute ma motivation. Et ce même si on fait beaucoup de visio entre collègues ».
Emeline M. : « les 2 premières semaines, je ne me suis pas rendue compte, je profitais de la famille. Mais au bout de 15 jours, j’ai senti que j’avais perdu le lien avec les gens. D’autant que je n’ai eu un téléphone pro qu’à la toute fin du confinement. Avant cela, je passais les appels avec mon téléphone perso en numéro masqué. Du coup les gens ne décrochaient pas. D’autres n’avaient simplement pas de téléphone… ».
Emeline F. : « j’ai dû perdre 20% des personnes que j’accompagne. La situation la plus compliquée à démêler : un ancien batelier qui vit sur sa péniche, avec de fait une boîte postale. La poste étant fermée, il ne recevait plus les courriers pour ses allocations ! ».
Emeline M. : « les actions de nos partenaires habituels se sont pour la plupart arrêtées. Heureusement que les centres sociaux proposent beaucoup de choses en visio, soutien scolaire, ateliers… ».
Mais se projeter dans une reprise, même progressive, pose beaucoup de questions…
Emeline F. : « je me rends compte que certains n’ont pas les moyens d’acheter suffisamment de masques pour être rassurés. D’autres n’avaient pas de quoi faire une attestation de sortie donc ne sont pas sortis du tout pendant deux mois. Les retombées du confinement, on ne les mesure pas encore. C’est quand on va vraiment revoir les gens qu’on va s’en rendre compte. Avec certains, il faudra presque repartir de zéro ».
Emeline M. : « j’appréhende de découvrir la réalité de leur situation. Au-delà de l’aspect économique, c’est en termes de lien social que les conséquences du confinement vont être les plus fortes. D’autant qu’on ne va pas pouvoir revoir chacun avant un moment, même déconfinés… On devra privilégier les rdv pour signer les CER. La personne signe et repart, comme un drive CER !! Je ne peux pas concevoir ça ! ».
Delphine : « il nous a fallu trouver des créneaux libres en mairie pour pouvoir recevoir de nouveau les personnes. Mais on voit bien que les gens ont peur malgré tout de ressortir, de venir en mairie. Sur les 4 rdv fixés, 2 personnes ne sont pas venues alors qu’elles avaient confirmé encore la veille. Et celles qui sont venues ont fait très attention et sont vite reparties.
Mais moi-même je ne suis pas rassurée. Surtout pour mon fils qui devrait retourner à l’école alors qu’il est asthmatique, donc potentiellement à risque. Je vais devoir dépasser ma peur ».
Malgré la réelle difficulté de garder le contact, cette expérience inédite est venue questionner fortement le lien à l’autre, dans la notion de soin, de confiance.
Emeline F. : « on est parfois leur seul interlocuteur. Récemment une femme a osé me dire que ça lui était vraiment difficile de faire certaines démarches administratives. Ça l’a soulagée de me le dire. Quelqu’un avait pris de ses nouvelles, simplement, sans objectifs autres que de prendre soin. Je vois bien qu’ils nous remercient de les avoir appelés. Chose qu’on ne faisait pas avant. Ça renforce la confiance, change l’image qu’ils peuvent avoir de l’accompagnement. Ils ont senti que quelqu’un s’intéressait à eux ».
Emeline M. : « en retour, certains nous demandent même comment on vit le confinement ! »