Hélène, éducatrice en maison d’enfants :
Il ne m’est pas aisé de répondre à cette question étant confinée chez moi depuis le 17 Mars, raisons médicales obligent.
Cependant, nous avons, mes collègues et moi, dû, dès le début de l’épidémie (semaine précédente du confinement), rassembler les jeunes pour les informer de la situation.
Nous nous sommes aperçues qu’elles avaient déjà, via le corps professoral et les réseaux sociaux, reçus de renseignements sur les conduites à tenir et quelques explications.
Nous avons constaté qu’elles tenaient davantage pour « vraies » les explications des adultes les entourant que les fakes ou autres intox circulant sur la toile.
Aucune n’a manifesté de peur, de panique.
S’agissait-il d’une confiance envers les éducateurs ou une perception du danger différente liée à l’adolescence invincible ?
Alors que souvent dissipées dans ce genre de réunion, les jeunes se sont montrées réceptives à nos discours. Le calme planait.
Ceux-ci sont restés, bien évidemment, fidèles aux sources médias et non alarmistes mais emprunts de sérieux.
Il fallait qu’elles pèsent au plus juste la situation sans paniquer.
Le 16 Mars, le Président de La République annonçait le confinement.
Réunies pour l’occasion, suite à cette annonce, elles ont surpris par leur raisonnement et la confiance qu’elles semblaient nous accorder lors de l’explication des mesures exceptionnelles de fonctionnement dues au covid19.
Ordinairement, leur demander de rester « enfermées » dans la maison d’enfants, sans sorties, sans visites familiales, aurait déclenché une petite révolution !
La distanciation sociale, les règles sanitaires ont été appliquées à la lettre. Certaines veillaient même à ce que les éducatrices n’oublient pas de se protéger !
Elles mettaient en place des actes protecteurs maternels qui ne devaient pas leur incomber.
Quelques-unes se sont inquiétées de leur famille et des liens perturbés par la situation mais ont été vite rassurées par la mise en place de visio rencontres possibles.
Une sorte de résilience semblait s’installer.
Les interrogations sont venues davantage des adultes : comment organiser l’encadrement des jeunes durant les journées entières de présence dans l’établissement ? Quelles mesurent en cas de covid 19 déclarés dans la structure ? Comment tenir dans la durée ? Comment nous protéger pour le faire aussi pour notre famille ?
Je passerai sur le protocole mis en place autour des règles sanitaires à tenir.
Le rythme de vie des jeunes a un peu changé :
-lever plus tard qu’en période de vacances
-maintien de travail scolaire le matin via Pronote (quand cela fonctionnait)
-intervention de personnes extérieures pour cours d’anglais et de mathématiques
-arrêt des contacts avec les jeunes et adultes des autres jeunes des autres groupes
Le temps passant, des activités sportives, artistiques se sont mises en place.
Je ne pourrais en dire davantage car je n’étais plus en poste.
Hélène éducatrice confinée chez elle :
Quitter mon poste, jeunes et collègues de mon groupe, pour me mettre en retrait, me protéger, m’a demandé et me demande encore beaucoup d’efforts.
Pas facile d’être en arrêt maladie pour se protéger d’un virus invisible, et ne pas être malade.
Pas normal, pas concevable.
Comme on se sent inutile ! Pas à sa place !
La raison doit l’emporter mais…
J’ai choisi de prendre en charge le suivi de trois jeunes restées chez elles pour le confinement.
J’ai pris l’excuse des relevés des températures des jeunes pour informer les mamans des règles à suivre, des alertes à donner si besoin, mais aussi assurer le suivi scolaire.
Ces deux familles n’ont pas forcément les moyens matériels notamment informatiques pour suivre Pronote, assurer les impressions etc.
Une maman a demandé davantage d’aide car déficiente intellectuelle, elle ne sait pas suivre sa fille scolairement. Celle-ci a d’énormes difficultés scolaires et a besoin d’un « décorticage » des consignes pour parvenir à comprendre ce qui lui est demandé.
Ce n’est pas facile tous les jours mais elle travaille à son rythme et je maintiens le contact pour éviter le découragement.
Je garde également le contact avec les professeurs afin qu’ils réalisent la difficulté dans laquelle est cette jeune. Ils sont très compréhensifs et cela fait du bien autant à elle qu’à moi.
Et puis en dehors de la scolarité, et pour donner quelques idées aux mamans, j’envoie des recettes à faire avec les enfants, des sites récréatifs, ou papotons un peu quand je sens que le découragement n’est pas loin. Mais je pense qu’elles vivent plutôt bien le fait de vivre avec leurs enfants.
La première maman dont je parlais s’angoisse pas mal au sujet de la scolarité de sa fille. J’évite donc de lui mettre trop de pression.
J’appelle également les jeunes restées à la maison d’enfants : on garde contact.
Je n’oublie pas de transmettre aux collègues toutes mes observations.
J’ai souhaité maintenir un contact régulier avec elles afin de me maintenir dans le rythme du travail. Mais je m’aperçois au fil du temps que les échanges s’étiolent.
Pourquoi ?
De leur côté, je ne sais pas et ne veux pas les ennuyer avec ces questions alors qu’elles gèrent là une situation inédite, anxiogène, et compliquée.
Tout est bouleversé : leurs horaires de travail, les collègues dont deux sont tombées malades, les comportements de certaines jeunes.
De mon côté, plus le temps passe, plus je me sens décalée, gênée de ne pas être là pour les aider. Alors je me retire un peu aussi. J’ai l’impression de ne plus avoir de place.
Hélène confinée chez elle avec mari et fille.
Penser que les malades chroniques sont bien chez elles sans travailler à attendre que cette cochonnerie de covid passe au-dessus d’elles sans les atteindre est une absurdité !
Je sais que la décision du retrait, appuyée par mes supérieurs, est la bonne.
Reste ce sentiment de ne pas être à sa place. Cette peur d’être touchée.
Me sentir chez moi avec mon mari et ma fille me rassure. Je veille sur eux en même temps que sur moi.
Seulement voilà, le temps passant, l’angoisse augmente.
J’amplifie les gestes barrières et mes exigences sont de plus en plus strictes envers eux qui sortent encore un peu (courses, sport). La peur…
Ne deviendrais-je pas un peu dépresso, maniaco, etc quelque chose comme ça…
Mon obsession est devenue pesante et quelques prises de bec m’ont fait comprendre qu’exposer comme ça mes inquiétudes leur mettait une de ces pressions !
Alors, j’effectue sur moi un travail de contrôle… dur !
Oui, j’ai peur d’être atteinte et de mourir, de quitter ceux que j’aime.
Eh bien, moi qui suis d’une nature pudique, retenue, je n’hésite pas à prendre dans mes bras ma fille et la serrer très fort (elle aussi prend sur elle, une ado imaginez !), et lui dis que je l’aime, quelque fois qu’elle l’aurait oublié !
Je passe davantage de temps avec elle et nous ressortons des jeux de société, des questionnaires de personnalités sont intéressantes aussi car les réponses, si on joue vraiment le jeu, font ressurgir des aspects oubliés, cachés de chacun d’entre nous. On se découvre encore un peu.
Nous ne nous étions plus laissé de temps. On rit, ça détend.
Depuis, je fais le point sur moi : qu’est-ce que je peux être exigeante autant envers moi qu’envers les autres ! J’aime aller au fond des choses et réussir mais est-ce que j’ai le droit de l’imposer aux autres.
En y pensant je me dis quand tout cela sera fini, ces leçons ne s’effaceront-elles pas ?
Cette pause me permet aussi de me rapprocher davantage de la nature (j’adore le jardinage, les balades dans la campagne). Les habitudes de vivre et de consommer sont en train de changer. Un potager vient de renaître, les plats se font au gré des placards. On se sent plus libre et autonome.
Tiens là je suis suivie, personne ne râle et l’entraide est spontanée !
La nature ne nous a-t-elle pas lancée une alerte ?
Cela a du bon tout compte fait le confinement. Enfin, ce soir, c’est ce que je veux retenir avant de dormir.
Hélène